23 mai 2011

Rose

Ça ne sent pas la rose… Elle le sait bien, que ça ne sent pas la rose ! De toute façon, ça ne sent JAMAIS la rose ! Il y a toujours un truc qui ne va pas, une odeur qui vient chambouler le bouquet, un micro fumet qui s’accroche aux pétales… Quelle idée elle a aussi, de cuisiner ! Non mais, on aura tout vu ! Elle ne doit utiliser que des aliments qui n’ont pas ou peu d’odeur. En fait, s’il pouvait ne se nourrir que de rien, il le ferait.

Mais elle, non, hors de question. Déjà, manger, elle aimait ça. Préparer aussi. Jouer sur les textures, sentir l’aliment se transformer, sous la lame déjà, puis sous la cuiller en bois, laisser mijoter, embaumer la maison, et le parfum s’ensauver en la rue, faisant gargouiller le ventre des passants, pressés d’emplir leurs panses lors de la pause déjeuner. Mais tout ça, c’était avant.

Mademoiselle s’était trouvé un époux, un homme qu’elle avait séduit par un de ses petits secrets, la confiture de rose. Une vapeur s’en étant allée titiller les narines d’un passant, passé, arrêté, stoppé net. Juste devant la fenêtre, devant la source. Il était resté tout le jour, n’avait pas bougé d’un pouce, humant, repu alors même qu’il n’avait rien avalé depuis la veille. Il souriait, niais.

Par la fenêtre arriva une tartine, suivie d’un bras, blanc, au bout un corps surmonté d’une tête, quelques pétales épars sur une chevelure dorée. Du visage il ne retint pas grand-chose, si ce n’était que sa confiture était une bénédiction. L’homme aimait les roses. Il l’épousa.

Les repas étaient source de conflit. S’il n’avait pu manger que des roses, que des mets à base d’icelles, il l’aurait fait. Mais il eut fallu pour cela que ce parfum discret puisse couvrir tous les autres. Il désespérait. Et mangeait peu. Ils avaient beau avoir beaucoup de fleurs, la confiture en nécessitait tant qu’il n’y en avait jamais assez. De plus, elle détruisait leur senteur avec ses préparations culinaires. Si le corps avait besoin d’autre chose que de fragrance pure, ça se saurait !

Surtout que les roses, ça ne fait pas grossir. Contrairement à ses plats. Il avait beau le lui dire, sa poitrine avait doublé de volume, son arrière train également et encore il ne parlait pas du ventre ! C’est qu’il aimait bien prendre possession de sa fleur… qui n’en avait que le nom, parce que question effluves, il ne voulait pas même en parler son odeur naturelle gâchait jusqu’à l’eau de rose dont elle s’enduisait.

Un jour, il la trouva particulièrement fatiguée, elle se plaignait d’avoir mal au dos et au ventre… Si elle ne mangeait pas autant, sa digestion serait plus aisée, et son poids ne ferait pas souffrir son dos ! Sur ces paroles, il retourna dans son jardin, prenant grand soin de ses bébés.

Quelques heures plus tard une odeur inconnue, entêtante, lui parvint de l’intérieur. Il fronça le nez, les sourcils avec. Tout sentait ainsi. Un goût de cuivre lui emplit les narines, il se précipita.

Un cri, le cœur au bord des lèvres. «  C’est immonde ! Cela pue ! »

Et sa femme, qui, fainéante, était allongée sur leur couche conjugale, bien sale, au passage, lui tendit un paquet remuant et puant.

Elle murmura « C’est votre fille », puis, la bouche ornée d’un sourire goguenard, elle ajouta « Elle se prénomme Rose. »

15 mai 2011

Prude, danse !


« Prudence », me dit-elle. Je ne relevai pas. Elle prononçait mon prénom cinquante à cent fois par jour. Sans doute ce jour là entendit-elle me prévenir d’une chose, j’ai envie d’y croire. Si vraiment elle avait pressenti quelque danger, pourquoi n’avait-elle pas hurlé ? Elle avait articulé lentement,  comme à son habitude, d’une voix trainante, lassante. Je ne l’entendais plus. Fond sonore auquel on ne prend pas garde.

Si j’avais prêté l’oreille, un rien d’attention, j’aurais su. J’aurais compris qu’elle savait, qu’elle voulait m’avertir. Je fis la sourde oreille. Lorsque je fermai la porte, sa main tendue vers moi me fit tiquer. Impression vite éludée. J’étais pressée. Il me fallait retourner prendre ce que j’avais laissé, là bas. Chez lui. J’avais vu le loup. Et il m’avait croquée. Tant et si bien que j’étais restée.

Heureuse. Je le croyais. Le loup… Douce agnelle que j’étais. Rencontre au bord d’une rivière, alors que dans l’eau claire, je m’étais baignée, toute nue. Une force de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues. Il me tint un discours étrange, je n’en tins pas garde. Sous le charme, déjà.  Le soir même il me couvrait d’oripeaux. Il me fit arpenter les rues, me montra. J’étais si fière et si belle, sous ces habits dorés !

Il me vendit au plus offrant. Fleur écarlate étalée, n’osant rien dire. « Prudence », m’avait nommée ma mère. J’aurais dû l’écouter. Cette fois là, déjà…  Il était mon maitre, il disposait de moi, ses amis aussi, les clients surtout, même s’il refusait ce terme. Il se disait généreux. Je lui appartenais. Jusqu’au jour où… De toutes ces aventures, je gagnais un bulbe rond. Mauvaise  herbe se développe vite, moins d’un an suffit.

Quinze ans, mère, enfant encore, pourtant. « Prudence », m’avait appelée ma mère, je le prénommais «Espoir ». Il me le vola. Il m’avait pris mon innocence, ma vie, et maintenant, mon Espoir. Je hurlais, longtemps, désespérée. J’ai mordu les amis présentés, j’ai griffé, pleuré, refusé. Je n’étais plus que rage, haine. Il me le ramena. De temps à autres. Soumise à nouveau. Je l’aimais pour cela, parce qu’il me redonnait Espoir.

 Un soir se présenta devant moi, une femme vieillie trop vite, aux cernes marqués, aux rides trop tôt arrivées. « Prudence. » dit-elle, levant la main vers mon visage peinturluré, osant à peine ce geste, n’osant croire que je vivais encore. Tout se précipita, elle prit ma main, m’emmenant chez elle, chez nous. Je retrouvai mes peluches, ma vie d’enfant. Cette vie enterrée à écarter les cuisses. Par amour.

Espoir ne quittait pas mes pensées. Ma mère tenta de me dissuader, de me dire qu’il était déjà perdu, que c’était trop tard, qu’il n’y avait rien à faire, ou de passer par la police. Rien n’y fit. J’étais décidée. « Prudence… », me dit-elle alors que je partais. J’aurais dû voir à son regard qu’elle savait m’observer pour la dernière fois. Résignée. Résignée à faire ce que je n’avais su faire, perdre son enfant.

Je courus, vite, très. J’arrivai là où je n’étais que chose, bête à plaisir, là où j’étais mère, surtout. Carpette, volonté disparue, je m’excusai, demandai qu’on me pardonne. J’osai demander à le voir, il me dit qu’on le rejoindrait. À la rivière. « La raison du plus fort », susurra-t-il à mon oreille.
Mon Espoir sitôt retrouvé se perdit avec moi.