16 avril 2011

Histoire d'H20

Cette histoire se déroule dans le monde du jeu Hordes. La terre est dévastée, l'Armageddon a eu lieu, le sable a tout envahi. Dans un univers post apocalyptique, les morts se relèvent. Zombies. Les armes peuvent les tuer, des "lance piles", tronçonneuses, tondeuses (fonctionnant à piles) et surtout, l'eau. L'eau détruit les morts. Mais il ne pleut plus. Et les gens se regroupent, à 40, dans des bidonvilles qu'ils tentent d'améliorer pour survivre, toujours plus longtemps.
Ici, des meurtres ont eu lieu. D'horribles meurtres, et le narrateur a été choisi pour enquêter sur cette tragédie.



Je les ai suppliés de me mettre dans la cage à viande. Je leur ai dit que j’étais coupable, qu’il fallait me descendre, m’empêcher de nuire à nouveau. Je le leur ai dit. Et ces imbéciles m’ont ri au nez. Oui, ils ont ri. Soi-disant que je ne peux pas être l’assassin, que c’est trop horrible, que s’ils m’ont confié l’enquête c’est parce qu’ils m’en savent incapable, trop gentil, et trop intelligent pour faire quelque chose d’aussi moche.

Depuis quand l’horreur est-elle l’apanage des imbéciles ? Depuis toujours, sans doute. D’après eux. Enfin, quelle idée, aussi, de me prendre moi comme enquêteur… C’est à moi de découvrir les preuves. Soit. Je veux bien. Mais je n’en ai pas laissé. Ou trop peu pour que ce soit exploitable, ou si ça pouvait l’être, je les ai détruites. Et ils veulent un accusé, en faire un coupable, se défouler sur lui de la terreur dans laquelle ils vivent depuis plusieurs semaines…

Il y a pire que les errants du sable. Bien pire. Il y a celui qui les décime de l’intérieur. Celui qui les empêche de dormir la nuit alors même que les murs nous assurent sécurité. La peur… L’odeur de la peur. Un plaisir, vraiment. Cette petite senteur piquante, vous connaissez ? Ce petit délice de l’acidité de la sueur, juste là, sur la nuque, lorsqu’ils me sentent derrière eux. Aucun n’a osé se retourner, aucun.

La peur leur liquéfie les tripes et les tétanise. Personne ne crie, jamais. C’est amusant. Et les errants qui frappent les palissades, grognent. Au matin, un nouveau corps qui les rejoint. Je préfère l’arrosage, personnellement, les trous, la fonte de la chair encore lisse, la dentelle organique qui se crée… Mais l’eau est rare. Alors chaque corps va rejoindre les autres. Ceux qui ne craignent que la pluie qui ne vient pas. Jamais.

Sacrifices. Sacrifice à la pluie, au Dieu qui, s’il existe, pourrait nous offrir enfin la crevaison des nuages. Et de l’eau… J’ai lu dans un vieux livre découvert dans ce qui semblait être une caverne habitée, plus de gens, juste de la viande… Beaucoup de viande. Oui, bon, humaine… Et alors ? Ils ont tout mangé, tous. Le cuistot était tellement heureux d’avoir de la barbaque à cuisiner qu’il ne m’a même pas interrogé sur sa provenance, personne ne l’a fait, d’ailleurs.

J’ai gardé le livre pour moi. Dedans, j’ai découvert un ancien rituel, une vierge, un enfant, un chien, un chat, un corbeau… Et six hommes. Le corbeau fut le plus difficile à attraper. J’avais gardé quelques morceaux de viande de la grotte. J’ai veillé, chassant les autres charognards. Puis il est arrivé, quelques coups de bec, légers, suffisants pour que la nasse tressée lui retombe dessus. J’ai pu accomplir la première phase, faire boire son sang à la vierge. Et le sang de chaque victime, ensuite.

Le chat et le chien ont été aisés à trouver, mais leur disparition a entamé le moral des troupes. Les hurlements du môme, incessants, ont plombé l’ambiance. Heureusement, il a été le suivant. La vierge a bu, sans mot dire, tout. Le sang était encore chaud, elle s’est délectée. Les forces la gagnent, ses joues prennent des couleurs alors que les gens pâlissent, n’osant plus sortir. Elle reste au soleil, ayant perdu cette faim qui l’habite. Et elle rit.

Un par un, ils ont suivi. Hier, c’était le sixième. L’inéluctable se rapproche. Dès le meurtre de l’enfant, ils m’ont confié l’enquête. On a voté, savoir qui était le plus susceptible d’être innocent. En tant que père de famille, amoureux des livres, ils m’ont exclu directement. Les niais. Chargé de retrouver l’immonde assassin du petit Grégory. Je l’ai trouvé les gars, c’est moi. J’ai feint l’acharnement, à rechercher d’hypothétiques preuves sous le cagnard, suant sang et eau, je ne me suis pas ménagé. Je n’ai étonnamment rien trouvé.

Je ne veux pas tuer la vierge. Je ne peux pas. C’est pour ça que je me suis dénoncé. Cette soif qui m’étreint, cette gorge éternellement sèche à boire cette… Eau ? C’est de l’eau cette chose au goût de terre ? Je n’en peux plus. Je crois que s’ils ne m’enferment pas, je vais le faire. Je vais le faire ! Je vais la tuer ! Comme les autres ! Maintenant, tout de suite. Il le faut ! Soif… Soif ! Que la pluie soit ! J’arrive, j’arrive. Je vais m’occuper de toi.

[…]

Je n’avais jamais constaté à quel point elle ressemble à sa mère. Ses yeux. Si belle. Je ne peux pas… Je ne peux pas tuer sa fille. Ma fille. Qu’ils m’enferment, par pitié ! Qu’ils… Non ! Ils la prennent elle ! Parce qu’elle sourit, qu’elle va bien ! La voyant ainsi, si belle, épanouie, ils l’emmènent dans la cage ! Non ! Pas elle ! Elle est innocente, pure… Et ils ne m’écoutent plus, ils sont persuadés que c’était pour la protéger que je voulais qu’on m’enferme… C’est le cas. Mais pas pour la même raison. Ils m’ont enfermé, mais pas dans la cage, moi, ils ne veulent pas ma mort.

[…]

Un roulement sourd, au dessus de ma tête. J’ouvre les yeux, je ne voulais plus entendre ses hurlements alors que ses presque frères approchaient, j’ai avalé des calmants, beaucoup. Il n’y a plus que ce bruit, étonnant. Ma cellule est ouverte, je sors. Il fait frais. Et… L’eau qui ruisselle sur mes joues n’est pas salée, il pleut. Il pleut… Elle n’est plus, j’en suis sûr. Et pourtant… La voilà, au milieu d’une bouillie infâme, un amas de dentelle pseudo humaine, debout, un rien hagarde. Elle m’aperçoit, court vers moi.

Vivante. Le sang ingéré lui a conféré un certain pouvoir sur les revenus, ils ne la touchent pas, ils avaient ouvert la cage pour l’emmener. Elle me glisse dans un murmure qu’elle sait tout, il y a bien longtemps qu’elle a lu, elle a terminé le travail : la fille du boucher n’est plus, elle s’en est occupée elle-même, avant de se faire enfermer. Plus bas, elle ajoute qu’elle, contrairement à la fille du boucher, n’est plus vierge, et ce, depuis longtemps.

Il pleut. Il pleut, et l’eau sur mes joues est salée. Elle vit.

Un groupe se forme autour de nous, l’un d’eux, courageux, approche. Il tient le Livre à la main. Les autres nous observent, je souris à ma fille, il pleut… Ils ne comprennent pas, je crois qu’ils vont nous tuer. Ils n’arrivent pas à digérer ce que nous avons fait. Ce qu’ils croient qu’elle a fait. Ils sont maintenant persuadés qu’elle a tout fait. Je hurle que s’ils doivent lui faire du mal, ils devront me passer sur le corps, ça n’a pas l’air de leur poser problème.

Alors qu’ils lèvent leurs bâtons sur moi, je tends le visage à l’eau du ciel. J’entrouvre mes lèvres pour laisser ma gorge s’hydrater enfin. Une chose me turlupine cependant, je n’arrive pas à remettre le doigt dessus. Les coups, accompagnés des hurlements de la chair de ma chair, envahissent mon esprit, vrillent mes tympans, c’est qu’elle a mal. Je la comprends, moi aussi. Une accalmie, je la regarde, une dernière fois. Le filet de sang qui lui parcourt la joue m’amène la vision d’une autre trace rougeâtre, qui a dû être, sur l’intérieur d’une cuisse.

Comment ça, plus vierge ?

3 commentaires:

Castor tillon a dit…

Vive l'eau, qui nous lave et nous Rambo !
Le coup de l'eau qui trouillotte les chairs, trop fun ! La scène est extrêmement bien décrite.

Décidément, j'adore ce texte !

Yunette a dit…

L'eau tue les zombies, dans ce monde, mais je me plais à imaginer la chose au ralenti...

(Je l'aime bien aussi, mon texte ^^ J'aime beaucoup moins Rambo...)

Castor tillon a dit…

J'aime pas les histoires de soldats, et j'aime pas Rambo. Je ne me l'autorise que pour faire un jeu de mots débile.
Tu avoueras que "vive l'eau qui nous Wolverine", ça rend beaucoup moins bien.