14 février 2011

Un oeuf

 « Cette fois, ce sera sans moi ! » C’était tout ce qu’il avait dit avant de partir faire son sac. Puis il était parti. Claquant la porte. Fort. Et ce son remuait ses entrailles, et elle l’entendait, encore, et encore. Cette phrase et cette porte, le son du bois qui claque, tout résonnait en elle. Couchée, sur son lit, se tenant le ventre à deux mains. Elle regardait le plafond de ses yeux auréolés de rouge. Paupières flamboyantes sur un œil irisé de veines.

Sans lui. Le sang battant à ses tempes commençait à se calmer, elle percevait à nouveau les sons de la maison par delà ceux qui lui hantaient l’esprit. Douzième pleurait dans son berceau. Elle voulu appeler Prière pour qu’elle s’en occupe, mais se rappela qu’elle était à l’école, ainsi que Désiré, Voulue, Toléré, Accepté et Résignée. Angélique n’avait pas vécu, Lucie et Ferdinand non plus. Il en avait déjà marre à l’époque.

Elle réfléchit. Ne restaient donc à la maison qu’elle-même, Douzième, Survivant et Battante. Âgés de trois et deux ans, ces derniers faisaient également la sieste. Elle se leva donc et se rendit dans le dortoir des enfants, récupérant son dernier né. Elle le baigna dans le lavabo de la salle de bains, l’eau se faisant chère, on y allait à l’économie. Pas de mot, sa voix éraillée par les sanglots aurait inquiété l’enfant. Elle tenta un sourire dans une grimace difforme. Il rit. Tant mieux.

Sans lui… Ainsi donc il la laissait maintenant. Elle avait épousé sa façon de vivre, ses habitudes. Un peu plus de confort était arrivé dans la maison, une pompe, de l’électricité. Mais jamais, jamais il n’avait voulu utiliser de latex pour ne plus avoir d’enfant. Il n’avait jamais voulu ne plus la toucher non plus. Elle aurait bien aimé, elle. L’accouchement chez eux, ça n’était pas ce que vivaient les femmes d’aujourd’hui ! Il la touchait, elle tombait enceinte, chaque fois, et il en était dégouté.

Et là, là… il la laissait. Cette fois, ce sera sans lui. Passées les premières émotions, elle se découvrit sereine. Il était loin de remplir les assiettes avec sa culture de tulipes, son absence ne changerait pas grand-chose, au contraire, elle lui offrirait une bouche de moins à nourrir. Certes, une nouvelle arrivait, mais ce n’était pas ça qui la dérangeait. Elle avait toujours travaillé de ses mains, brodant nuit et jour les images qu’on lui commandait. Et elle était douée.

La nourriture des enfants ne serait pas un problème. Pour ce qui était de s’en occuper, ç’avait toujours été elle. Pas un souci non plus. Et puis surtout, après celui-là, elle ne tomberait plus enceinte, puisque sans homme. Elle sourit à son enfant, franchement. Elle allait vivre. Remettant l’enfant au lit, elle retourna à son ouvrage, un palmier. Un jour, elle en verrait un en vrai, elle voyagerait, sortirait de chez elle pour le plaisir, emmenant les enfants. Loin de ces montagnes.

Rêveuse, elle réfléchit à un prénom. Comme pour chacun, elle en choisissait un leur correspondant. C’est important un prénom, ça se garde toute une vie. Il faut prendre soin de ne pas se tromper. Un doute l’assaillit un instant, très court, interrompu par l’idée qui lui emplit le crâne. Dehors les idées noires ! Elle sourit. Elle avait trouvé. L’enfant s’appellerait Pâques.

5 commentaires:

Castor tillon a dit…

Douze marmots ! Heureusement qu'il y a des coups où il n'y a rien !

Pardon pour le mauvais esprit.

Ce type est un pignouf. Quand on cultive des tulipes en montagne, on ne peut être qu'un moins que rien. Les Hollandais le voueraient aux gémonies.

Comme souvent chez Yunette, l'égoïsme est battu en brèche. J'espère qu'elle publiera un jour un recueil de ces historiettes, je serai le premier client.

Castor tillon a dit…

J'espère que personne de ta connaissance ne cultive les tulipes en montagne. Sinon, ne perds pas ton second degré, hein.
Et je te rappelle que la fontanelle des castors est très fragile, les frapper à cet endroit peut leur être extrêmement dommageable.

Yunette a dit…

C'est justement le manque de coups "à vide" qui désespérait l'homme !

Et pour publier, faudrait que Yunette se penche sur le fait de trouver un éditeur ;) Ce qui est loin d'être le cas ^^

Pas grave, je tape toujours derrière la tête. Tu sais, de ces taloches de remise d'idées en places...

Castor tillon a dit…

Je sais, je connais. Vu l'esprit de turlupin qui me caractérise, j'ai l'arrière de la tête tout plat, à force.

Castor tillon a dit…

Outch.