23 novembre 2010

Hic

Rester ici ou partir, cela revenait au même. Il aurait gagné. Et ça la mettait hors d’elle. Plus encore que ce débat stérile qui les occupait depuis le début de la journée. Quelque chose qui était parti d’un rien du tout, d’une broutille à propos de sa nouvelle robe. Il s’était mis à critiquer, elle avait défendu, pour la forme, ce couturier qui avait fait un travail de sagouin.

Il avait haussé le ton, comme d’habitude. Elle, réprimant un sourire avait enchainé. Et puis il avait dit quelque chose. Quelque chose d’impardonnable. « On ne peut pas parler avec les femmes. » Ce n’était pas tant la phrase qui la mettait hors d’elle, non. C’était le ton. Il était on ne peut plus sérieux. Il l’avait regardée dans les yeux, énonçant cette phrase comme une vérité. La vérité.

Alors elle avait crié, cette imbécile, lui prouvant par là même qu’il avait raison. S’en voulant au fur et à mesure que son ton montait, que les larmes envahissaient ses yeux. Sa voix restait ferme malgré les sanglots qui la guettaient. Il ne comprenait donc rien ? S’était-elle fourvoyée à ce point ? Ne savait-il pas qu’elle jouait tout le temps ?

Même leurs engueulades… Surtout leurs engueulades ! Ces prises de becs faisaient partie de leur quotidien, lui donnant du relief, un intérêt. C’était quand même plus transcendant qu’un « Passe-moi le sel. » ! Le souci qu’elle avait avec l’homme de sa vie, c’est qu’elle était foncièrement d’accord sur tout ce qu’il disait. Absolument tout. Qui se ressemble, s’assemble…

Au bout de quelques années de bonheur parfait, de félicité sans tache, elle en avait eu marre. N’auraient plus manqué qu’un ciel rose, des petits bonbons en guise de pluie s’échappant de nuages de barbe à papa, des murs en pain d’épice… Cela aurait été le pays des rêves ! Rien qu’à y songer, elle en avait la nausée. Et non. Elle n’était pas enceinte.

A son grand dam. C’était la grande déception de sa vie. Ne pas avoir amené sur cette terre de bambin à aimer. Ne pas avoir meublé cette maison de cris d’enfants. Cette trop grande maison. Préparée pour une famille qu’ils ne purent jamais construire. Alors elle avait meublé le silence. En jouant celle qui n’était pas d’accord, provoquant ses colères. Provocant la vie dans la monotonie.

Lui ne voyait pas ça sous cet angle. Il n’avait pas compris. Il ne la comprenait plus, ne la reconnaissait plus. Où donc était cette femme qu’il avait épousée ? Où donc était celle qui le comprenait à demi-mot, sans mot, même, celle qui finissait ses phrases à sa place, lui souriait, l’embrassait sans raison ? Ce n’était pas cette mégère qui avait toujours quelque amertume au bec.

Ça non, ce n’était pas elle. Il ne pouvait plus rien dire sans qu’elle prenne la mouche. Rien. Même les compliments. Et elle criait avec le sourire. Il ne supportait plus. Il ne la supportait vraiment plus. Cette phrase qui l’avait énervée, sans sourire semble-t-il, sans l’ironie qu’elle mettait dans ses propos d’ordinaire, il l’avait pensée. Réellement. Il ne pouvait plus parler avec sa femme.

Il était sorti, sans claquer la porte. Non. Tout doucement. Sans rien ajouter. Elle ne partirait pas. Mais elle ne resterait pas non plus. Elle s’enferma dans la chambre qui aurait dû accueillir son premier né, avala des pilules en nombre non négligeable et se blottit dans ce lit de bébé grand modèle qui l’avait séduite. Rester ici ou partir, cela revenait au même. Elle avait fait les deux.

4 commentaires:

Castor tillon a dit…

Si Madame avait eu ce bébé, le désintérêt pour Monsieur aurait été total !
Il leur aurait fallu à tous deux quelques séances de saut à l'élastique, ou un trekking au Darfour pour reprendre goût à la vie (conjugale).
Cette descente en désamour est finement observée, Yunette tape là où ça fait mal, comme d'ab, et la chute n'est même pas caricaturée.

Castor tillon a dit…

Ton truc de dernier com marche une fois sur deux. Tu devrais contacter le S.A.V.

Yunette a dit…

Tu sais que ce texte, j'ai eu un peu peur après l'avoir fait lire. Jeu d'écriture, eu des votes parce que touché la corde sensible du votant. Je me suis demandée si j'avais le droit de "toucher juste", justement. De taper là où ça fait mal.
Finalement, je me dis que j'ai bien fait. Mais il faut être prudents. Tout n'est pas toujours bon à dire, ou pas à n'importe qui. Les sujets sombres, c'est comme l'humour, faut choisir son interlocuteur.
Et sur le net, on ne choisit pas.

Castor tillon a dit…

Tu as bien fait, il ne faut pas avoir peur. C'est une histoire triste de la vie quotidienne, avec une chute comme ça arrive souvent dans la vraie vie.
J'ai vu suffisamment de disputes pour savoir que ça se passe exactement comme ça. Il faut que ce texte soit lu, ça peut éclairer des gens sur l'incompréhension dans la vie de couple.