24 novembre 2008

Requiem

La toile qui m’enveloppe laisse filtrer de l’air. Le soleil est éblouissant quand on est roulé dans un linceul. L’image du saint suaire me vient à l’esprit. La chaleur n’est pas encore à son paroxysme et pourtant je baigne dans ma sueur. La chaleur… et la peur. La voix que j’ai entendue hier au soir se rapproche. Que va-t-il advenir de moi ? Moi, Pedro, simple fossoyeur de Chihuahua, cinquante ans et toutes ses dents. Enfin, jusqu’à hier, les dents. Le cauchemar de la nuit repasse sous mes paupières closes et me laisse tremblant.

Une commande. La chaleur a tué un notable, il fallait faire un beau trou. Un beau trou ça veut dire neuf pieds de profondeur au lieu des six habituels et une bonne largeur. Arrivé à 8 pieds, ma pioche a heurté quelque chose, mes rêves enfantins me sont revenus en tête. Fiévreux, euphorique, je me suis mis à creuser tout autour de l’endroit qui résistait. Je ne m’étais pas trompé, il s’agissait bien d’un coffre. Frénétique, je l’ai dégagé et hissé hors du trou. Un coup de pioche bien placé dans la serrure l’a ouvert. J’ai cru défaillir. Une cascade de pierreries et de bijoux en tous genres s’en est échappée. Je n’ai pas eu le temps de réaliser ni de vraiment me réjouir qu’un bruit est venu me troubler.

Cli-ic cli-ic

De ces sons qu’on reconnaitrait entre mille. Celui qui vous glace l’échine. Le son d’un colt. Après le son est arrivé ce que je redoutais. Le froid glacial évocateur de mort du canon sur ma nuque. Et là, celui qui était à l’autre bout du canon n’a rien trouvé de mieux à me dire que : "Dans la vie il y a deux catégories de personnes... Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent... toi tu creuses. "

ça a été trop pour moi, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander s’il n’avait pas un harmonica à me passer. Inconscient ? Sans doute. Surtout dégouté de n’avoir pas même eu le temps de profiter de cette richesse que je me découvrais. Ni même de me rendre vraiment compte que j’étais devenu riche. Ephémère sensation de bien être avortée.

Il a sorti un harmonica de je ne sais où et me l’a collé dans la bouche. J’ai ravalé mon trait d’esprit, ma fierté et quelques dents. Sous son ordre, je suis redescendu, ai repris ma pioche et ai creusé, plus profond, toujours plus. Avant l’aube il m’a fait remonter. M’a assommé. Je me suis réveillé dans ce qui m’a semblé être un drap. Je sais désormais que c’est un linceul.

La chaleur se fait de plus en plus sentir. Une autre voix lui répond. Ils vont me descendre, me descendre au fond du trou puis me descendre. On me soulève et l’on me jette sans ménagement au fond de la fosse. L’harmonica qu’il ma laissé coincé entre les lèvres exhale un son plaintif.

Clic clic

Le son n‘est pas hésitant cette fois. Il va tirer. Pan ! Noir, rideau, adieu. Fin de l’acte. Je perds conscience. Suis-je mort ? Une douleur sourde dans mon mollet droit me ramène à la réalité. Enveloppé dans mon linceul, il n’a pas discerné ma tête de mes pieds. Je sens une pression au dessus de moi, ouvrant les yeux je me rends compte que le soleil a disparu. L’air se raréfie. Une grosse pression me coupe le peu de souffle qu’il me restait. Dans un dernier sursaut je joue la complainte de l’homme à l’harmonica. Requiem pour le mort qu’on vient de déposer sur moi.

1 commentaire:

Chrysopale a dit…

Lorsqu'un fossoyeur tombe et meurt dans son trou, que fait-on? On rebouche? Très chouette texte, j'ai bien aimé (je me répète non?) Et bravo pour les petits clins d'œil.