26 octobre 2008

Comme toujours (première mouture)

C’était la dernière personne à rencontrer, après je pourrai tirer ma révérence. J’arrivai au rendez-vous en début de soirée. Je ne le remarquai pas tout d’abord, ma vision brouillée par les médicaments m’empêchant de le discerner. Il était installé, nonchalant à la terrasse du café. Seul le bas de son visage m’apparaissait, ses yeux cachés par son chapeau, comme toujours. Je m’approchai tout doucement, m’assis en face de lui et lui souris. Il tira sur sa cigarette, une longue bouffée, le rougeoiement éclaira sa bouche, impassible, comme toujours. Sans me démonter je lui ai tendu mon petit paquet, enveloppé dans du papier kraft, bien ficelé. Il n’a pas esquissé de mouvement, je l’ai déposé sur la table, enlevé mes lunettes noires, je sentais son regard posé sur mes yeux tuméfiés, détaillant chaque bleu, chaque ecchymose. Mais il ne dit rien, comme toujours. Seul son clope apportait la preuve qu’il respirait. J’attendis une parole, un geste, en vain.

Je me suis levée. Doucement. J’ai repris mes lunettes, les ai remises devant ma douleur. Je ne l’ai pas quitté des yeux. Rien. Pas un frémissement, comme toujours. Je ne sais pas pourquoi je suis venue auprès de lui chercher ce réconfort qu’il ne m’aurait pas offert. Je ne connais pas la raison qui m’a poussée à m’installer devant lui à cette terrasse désertée. Le bar de l’amitié. Penses-tu ! S’il savait au moins ce que ça signifie. Lui ? Des sentiments ? Dans mes rêves. Oui, je rêve, comme toujours. Un jour peut-être se réveillera-t-il, un jour peut-être lâchera-t-il son mégot. Peut-être même qu’il se lèvera à mon approche et puis, qui sait, peut-être même me prendra-t-il dans ses bras ? C’est beau de rêver. On me le dit souvent.

J’ai fait quelques pas, de droite et de gauche, sans vraiment savoir où aller. Ma vue se brouillait de plus en plus, j’ai continué, tout droit, ou presque. Un coup de klaxon tout proche me fit ouvrir les yeux. J’arrivai à Saint Michel, mes pieds m’avaient ramenée à la maison, comme toujours. Sauf que ce soir, je ne veux pas. Je ne veux pas rentrer, pas déjà, pas tout de suite, pas du tout en fait. Le quartier Latin, c’est fini, je n’en veux plus. Ah ça, il était latin mon bel italien. Le sang chaud bouillonnant, écarlate. Un vrai de vrai. Autant dans sa passion que ses colères. Et dernièrement, il avait beaucoup plus de colère que de passion pour moi. Le peu de tendresse ne compensait, ne pansait plus mes meurtrissures. C’est fou comme ces cachets éteignent la douleur. Mon cerveau fonctionne plus vite aujourd’hui, ma vue est altérée, mais mon raisonnement est clair. Je ne sais pas encore ce que je veux, mais je sais ce dont je ne veux plus.

Je n’aimerai qu’une chose, que ça s’arrête, enfin.

J’ai répondu à son appel, me suis installé et l’ai attendue. Elle est venue, hagarde, comme toujours. Elle s’est assise, tentant un sourire. Je ne peux pas. Je n’arrive pas à la regarder en face. Comment le pourrais-je ? Dois-je contempler ses yeux délavés par les larmes ? Observer ces lèvres autrefois parfaites fendues en divers endroits ? Sa chair gravée par la lame de ce malade ? Et ses bras, ses bras si blancs parsemés de brûlures. Alors je fume. Je ne bouge pas. Impassible, insensible, peut-être, je ne sais pas. Aujourd’hui elle a déposé un paquet. Je n’ai pas esquissé un mouvement pour le prendre. Je la sens qui attend, un geste, une étincelle, comme toujours. C’est au dessus de mes forces. Mes yeux se portent malgré moi sur son visage, un morceau de viande, voilà ce qu’il reste de la fière jeune fille que j’ai connue. Il y a quelque chose en sus ce soir, plus que la souffrance, il y a autre chose dans ses yeux, une détermination que je n’y ai pas vue depuis longtemps. Ma main tremble sur ma cigarette. Je veux me lever, la serrer, fort. Mes membres refusent de m’obéir. Ne t’en vas pas, attends !

Trop tard, elle est déjà loin. Elle va le rejoindre. Comme toujours. Elle aimerait quoi ? Que je compatisse ? Je jette l’éponge. J’étais prêt à tout pour elle, tout donner, mon âme, ma vie. Elle a choisit ce bellâtre, celui qui parlait avec ses mains. Elle pouvait regarder mes yeux, elle aurait su, de suite. Mais elle ne me voyait pas, depuis, je les cache, de peur qu’ils crient mon sentiment. J’irai bien lui casser la gueule à l’autre, qu’il comprenne ce que ça fait d’avoir mal. Mais elle sera là, pendue à mon bras, "Non arrête, s’il te plait, ne lui fais pas de mal, je l’aiiiiiiiime !" Pathétique, comme toujours.

Bon, je vais l’ouvrir son paquet. Cette odeur, celle du vieux papier. Une fleur séchée s’échappe du bouquin, Une pensée, couleur passée, à croire qu’elle l’a gardée. Un souvenir parmi tant d’autres ? Elle n’a qu’une chose à laquelle elle tient qui date de cette époque. J’espère que ce n’est pas ce que je crois. Mes doigts, fébriles déchirent le papier kraft. Putain. Pas ça. Elle me l’a laissé. Pas Hugo, pas son livre, son échappatoire. Que veut-elle me dire ? Pitié non, pas un adieu, ne me fais pas ça. J’arrive ! Attends-moi ! Le quartier Latin, chez l’autre, elle doit y être. Une cigarette, mes mains tremblent de plus en plus, le paquet m’échappe. Tant pis, je dois la rejoindre. J’arrive. Non. Pas là-bas, Notre Dame.

Notre Dame, me voici. Mes jambes ne me portent plus qu’à peine. Le parvis, enfin. Je m’arrête à bonne distance, comme toujours je me gorge de ta splendeur. Je m’affale, les yeux rivés sur ta rosace. Décidément, je n’ai plus mal, plus mal du tout.


Te voilà. Je suis là. Pourquoi es-tu couchée là ? Laisse-moi te toucher, te prendre dans mes bras comme j’en rêve depuis toujours. Permets-moi enfin d’être ton quasimodo, de me coucher à ton côté et de ne voir de toi que ce dont j’ai envie de me rappeler.


Est-ce toi ? Tu es venu ? Laisse-moi dormir, juste là dans tes bras. Etre ton Esméralda, comme avant ; enlève ce chapeau que je voie tes yeux, qu’enfin je m’y plonge, que je voie ce qu’ils ont toujours voulu me dire. Dis-moi que je ne rêve pas, pas encore, comme toujours.

1 commentaire:

Chrysopale a dit…

Première mouture? Tu comptes en faire une autre? Préviens-moi, je veux bien faire bêta-lectrice, je te dois bien ça (outre le fait que j'aime beaucoup cette histoire, qui m'avait fait frissonner - et le double point de vue très intéressant).